Expédition hauturière en Guyane à bord de l’Hermano Gines : Premier bilan
La campagne d’exploration de la faune marine au large de la Guyane à bord de l’Hermano Gines vient de s’achever. Une fois surmontées quelques déconvenues initiales (retard du bateau, panne d’un générateur, installation d’un écho sondeur « grands fonds »), l’expédition s’est magnifiquement déroulée avec 14 jours de travail et 68 opérations réussies entre 20 et 650 mètres de profondeur. Elle a impliqué en mer 9 chercheurs et techniciens originaires de 5 pays et deux enseignants du secondaire, avec l’appui de deux capitaines de pêche, et un équipage vénézuélien de 8 hommes. Deux guyanais figuraient dans l’équipe embarquée.
L’ensemble de la Zone Économique de la Guyane a été explorée, depuis la frontière maritime avec le Surinam, au nord-ouest, jusqu’à celle avec le Brésil, au sud-est.
En termes de biodiversité marine, la Guyane avait la réputation d’être d’une grande pauvreté, surtout comparée aux iles de l’arc antillais. La côte de Guyane est en effet dans le panache de l’eau déchargée par l’Amazone, une eau turbide et dessalée qui explique la faible diversité des habitats et des espèces dans les écosystèmes côtiers. Par contre, cette eau amazonienne reste très superficielle et confinée à la côte, et nos résultats montrent une faune benthique profonde « normale » pour le type d’habitats rencontrés.
Le plateau et la pente continentale de la Guyane sont presque entièrement couverts de sédiments fins – vase ou vase sableuse -. Exception remarquable : le rebord du plateau, entre 110 et 130 mètres de profondeur, qui présente des fonds durs – sédiments consolidés et récifs d’huitres. Sur ce rebord, des blocs de conglomérat ramenés de 130 mètres de profondeur portaient des encroutements d’algues corallines : de toute évidence, suffisamment de lumière pénètre à cette profondeur malgré la turbidité de l’eau (ce sont cependant les seules algues vues pendant l’expédition !).
A chaque station, la faune est dominée par une ou un très petit nombre d’espèces – le plus souvent des oursins, des étoiles ou des ophiures, quelquefois des vers tubicoles, plus rarement des crustacés – qui constituent 98 ou 99% du volume du prélèvement. Donc une première apparence de pauvreté et de monotonie – derrière des abondances phénoménales. Mais, au deuxième abord, une diversité relativement importante d’espèces rares ou très rares – qui n’ont été vues qu’une seule fois pendant l’expédition.
Quelques chiffres montrent sans équivoque le bon en avant que l’expédition aura fait faire à la connaissance de la faune marine de Guyane. Avant l’expédition, on connaissait de Guyane 57 espèces de crustacés décapodes (crabes, crevettes, pagures) ; l’expédition en a échantillonné 180. On connaissait une vingtaine d’espèces d’échinodermes (oursins, étoiles, ophiures, holothuries, comatules) ; l’expédition en a échantillonné 115 ! Chez les mollusques – mieux connus et ayant fait l’objet d’un récent guide spécifiquement consacré à la Guyane -, 100 à 200 espèces seront à ajouter aux 366 espèces déjà recensées. Des collections représentatives de brachiopodes, ascidies, bryozoaires, annélides, hydraires et éponges ont été constituées ; des branchies de plusieurs dizaines d’espèces de poissons ont été prélevées pour l’étude des parasites monogènes. Par ailleurs, la plupart des espèces échantillonnées n’ont encore jamais été séquencées et plus de mille prélèvements moléculaires ont été réalisés. Quant aux espèces nouvelles pour la science, elles relèvent encore, à ce stade, de la « présomption de découverte », mais il est probable que plusieurs dizaines d’espèces se révèleront inconnues
In fine, l’Hermano Gines s’est confirmé être un bon petit bateau correspondant à nos besoins ; le générateur réparé à Cayenne n’a par la suite manifesté aucune autre faiblesse. Pour un bateau de cette taille, la capacité d’embarquement, la capacité des treuils (1300 mètres par treuil) et les espaces de laboratoire offrent même un confort de travail appréciable. Le succès de l’expédition justifie donc a posteriori les efforts – budgétaires, organisationnels et institutionnels – déployés depuis un an pour préparer cette expédition « La Planète Revisitée » en Guyane. Il ne fait pas de doute que les résultats de l’expédition auront, après dépouillement, une portée géographique beaucoup plus large, de la Guyana et du Surinam à l’Amapa brésilien.
La partie côtière de l’expédition se déroulera aux Iles du Salut, fin septembre. Nous avons choisi pour cela la saison sèche sur le bassin amazonien : le débit du plus grand fleuve du monde faiblit considérablement et, à 15 kilomètres au large des côtes guyanaises, les eaux sont en principe plus « claires » ; la visibilité atteint 1 à 2 mètres – 3 à 4 mètres les bons jours -, espérons que nous aurons de la chance !
Philippe Bouchet, le 14 août 2014.
Contacts :
Marie Fleury, Antenne du Muséum en Guyane, marie.fleury@mnhn.fr
Alice Leblond, alice.leblond@mnhn.fr
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