Une microfaune aquatique à découvrir

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Une microfaune aquatique à découvrir

Les sentinelles des criques

Si le paypayo veille sur la quiétude des forêts guyanaises, les criques ont aussi leurs gardiens : les invertébrés aquatiques ! Ces bioindicateurs suscitent un intérêt croissant sur le continent sud-américain. Leur diversité exceptionnelle et leur capacité à renseigner sur l’état de santé de nos cours d’eau ont motivé une équipe internationale d’experts taxonomistes (Argentine, États-Unis, Guyane) à partir à leur recherche en territoire guyanais. Bilan : Deux nouveaux genres et une nouvelle espèce pour la science, des clarifications sur certains groupes complexes et 22 nouvelles espèces pour la Guyane. Et ce n’est qu’un début ! 

Au cours de la saison sèche 2016 une équipe internationale composée de chercheurs argentins, américains et guyanais a sillonné le fleuve Sinnamary et les criques de Saül à la recherche d’invertébrés aquatiques, ces animaux microscopiques et très discrets. Leur but : inventorier des groupes peu connus et découvrir de nouvelles espèces. Après seulement dix jours de prospection, les résultats ont largement dépassé leurs attentes :
« Les invertébrés aquatiques constituent un ensemble complexe : insectes, vers, mollusques, crustacés, etc. Nous ciblions trois groupes en particulier, trois ordres d’insectes » explique Simon Clavier à l’origine du projet. « Les Éphéméroptères, les Coléoptères, principalement au travers des familles Elmidae et Dytiscidae, et les Hétéroptères Naucoridae. Ce sont des groupes très importants, ici, en Guyane ».
Les Éphéméroptères, par exemple, peuvent vivre plusieurs années au stade larvaire dans le milieu aquatique. Une fois adultes, elles deviennent ces petites “mouches”, dépourvues de système digestif fonctionnel, qui ne vivent qu’une seule journée ce qui leur a valu leurs noms d’éphémères. Elles sont très diversifiées en Guyane. Plus d’une cinquantaine de genres quand on en recense seulement 35 en métropole sur un territoire six fois plus étendu. Tellement diversifiées, qu’elles sont à l’origine d’un outil utilisé pour étudier la qualité de l’eau des criques et des fleuves guyanais : l’indice SMEG Score moyen des éphéméroptères guyanais (voir Une saison en Guyane n° 15). Inversement, les Naucoridae constituent une petite famille de punaises aquatiques très peu connue et ses représentants sont des vecteurs potentiels de l’ulcère de Buruli, une maladie cutanée nécrosante due à une mycobactérie, dont une centaine de cas ont déjà été répertoriés en Guyane. Mieux connaître les espèces qui composent ce groupe est donc d’intérêt public. « On ne dénombre que deux espèces dans l’Europe entière. Quand nous avons démarré le programme, aucune espèce n’était connue en Guyane. Désormais, il y en a huit dont une nouvelle pour la science (Picrops tuberculatus) découverte à Saül sur la crique Nouvelle France ». Quant aux Coléoptères, ils auraient, à eux seuls, de quoi occuper les chercheurs pour de nombreuses années. Avec plus de 400 000 espèces actuellement recensées, ils comptent davantage d’espèces que l’ensemble des plantes connues ! En Guyane, 5 830 espèces terrestres ou aquatiques sont répertoriées, dont 28 % sont endémiques du territoire ou du plateau des Guyanes. « Nous avons mis à jour un nouveau genre, Platyparnus qui inclue trois espèces et un second genre Amazonopsis qui en compte deux. Ce dernier avait déjà été collecté au Pérou et au Venezuela, mais ce sont les spécimens guyanais qui ont permis de confirmer son statut de nouveauté. Au final, nous en sommes à plus de 22 nouvelles espèces pour la Guyane et certains échantillons sont encore au laboratoire pour vérification ».
Si les chiffres sont éloquents c’est que l’artillerie lourde a été déployée. Un programme de recherche dédié DIAG (Diversité des Invertébrés Aquatiques Guyanais) porté par le bureau d’études Hydreco et soutenu par l’Office de l’Eau Guyane, la DEAL Guyane et le Parc Amazonien composé d’une équipe internationale d’experts taxonomistes, ces scientifiques qui classifient et nomment le vivant. Des chercheurs argentins, américains ultraspécialisés, des sommités dans leur domaine, généralement très sollicités et à l’agenda surchargé ont répondu présents pour relever le défi. « Leur savoir est très précieux », précise Simon Clavier. « Avec l’abandon de cette discipline dans les cursus de formation, nous sommes aujourd’hui en carence de telles compétences. Les taxonomistes sont généralement des personnes âgées qui vont partir à la retraite sans avoir transmis leurs connaissances… On assiste à un incroyable gâchis ! » La taxonomie est la science qui permet de classifier les organismes vivants en se basant sur des critères de ressemblance ou de différences morphologiques. Elle naît au 18ème siècle sous l’impulsion d’un naturaliste suédois Carl von Linné qui lui léguera son nom. On parle ainsi de classification linnéenne. C’est une discipline complexe et même les spécialistes ne sont pas à l’abri des erreurs. Le père Navás, un célèbre taxonomiste espagnol du début du 20ème siècle, a ainsi décrit une même espèce d’éphémère que l’on retrouve en Guyane sous six appellations différentes. Science complexe, elle n’en demeure pas moins essentielle. Si former de tels spécialistes en Métropole où la grande majorité de la biodiversité est connue et étudiée depuis de nombreuses années reste sujet à débat, la question prend une tout autre dimension en Guyane où 70 % des espèces d’insectes restent encore à découvrir. « Il faudrait créer une véritable Université de la taxonomie guyanaise », plaide le jeune spécialiste. Car décrire et nommer une espèce est la base de la connaissance. C’est un préalable indispensable pour éviter les actes de biopiraterie par exemple. « Nous étions très vigilants sur ce point », renchérit-il. « Nous avons été parmi les premiers à nous conformer aux exigences APA de partage des connaissances et des avantages ». Ce dispositif, mis en œuvre suite au protocole de Nagoya, encadre désormais toutes les activités de recherche et de développement en réglementant l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées.
Car le programme DIAG s’inscrit dans une démarche plus globale. Les nouvelles espèces d’invertébrés recensées ont vocation à grossir les rangs des bio-indicateurs utilisés en Guyane ; ces organismes qui par leur présence, leur absence ou leur abondance renseignent sur la qualité du milieu et son état de santé. En effet, au sein d’un écosystème en bonne santé, les communautés animales se structurent d’une certaine façon avec un optimum écologique appelé climax. C’est un équilibre dynamique entre les espèces sensibles aux pollutions dites polluo-sensibles et les espèces résistantes ou polluo-résistantes. Si une perturbation survient, qu’elle soit d’origine naturelle (chablis…) ou anthropique (pollution…), les communautés vont adapter leur réponse et modifier leur composition en augmentant la proportion d’espèces polluo-résistantes par exemple. Ainsi pratiquer la bioindication revient à lire et interpréter les signes de la nature, mais à une échelle plus petite, avec un microscope. Si le papillon (Urania leilus) ou Chinois vert signe la saison sèche en Guyane, la disparition des larves d’éphémères dans une crique indique un milieu pollué… Baigneurs passez votre chemin !
Afin d’approfondir les résultats du programme DIAG, un volet génétique a été développé en partenariat entre l’UMR ECOFOG de Kourou et l’UMR EDB de Toulouse. « L’objectif est de constituer une véritable bibliothèque du vivant, une bibliothèque de notre patrimoine naturel guyanais », explique Axel Cerdan, actuellement en thèse à l’Université de Guyane grâce à une bourse doctorale du Labex CEBA. « Les résultats de cette étude permettront d’apporter des éléments de réponse sur l’origine de l’incroyable biodiversité que l’on observe en Guyane et de comprendre quels sont les facteurs qui la gouvernent en prenant en compte la diversité taxonomique, phylogénétique et fonctionnelle. Nous espérons également, à terme, développer des méthodes de récolte des invertébrés non invasives qui permettent d’identifier les espèces grâce aux seuls brins d’ADN présents dans l’eau. » S’enthousiasme le doctorant.
Mais pour que de tels projets deviennent un jour réalité, il est nécessaire de s’assurer que l’avenir est entre de bonnes mains. La transmission et la diffusion des connaissances sur un groupe si peu médiatisé sont essentielles. Une animation a ainsi été réalisée avec les scolaires de Saül en ce début d’année 2018. L’objectif était de faire un retour du programme DIAG en sensibilisant les enfants à cette biodiversité insoupçonnée et à l’importance de la taxonomie. « Nous souhaitions dépoussiérer la discipline en mettant à l’honneur l’incroyable richesse de notre patrimoine ! La taxonomie ne se pratique pas seulement dans les musées, mais commence, ici, en bas de chez vous ».

Et, qui sait, susciter quelques vocations…

Texte de Simon Clavier, Cheryl Barr, Axel Cerdan, Eduardo Dominguez, Douglas Post, Robert Sites, William Shepard.

L’article original sur le site d’Une Saison en Guyane
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